Les Amis et la résistance ouvrière

 

Par Robert Chambeiron, ancien secrétaire général adjoint du conseil national de la résistance.

Le dimanche 14 avril, à 10 heures, à 
Paris, au cinéma Max Linder, les Amis de l'Humanité avaient invité à fêter le 70e anniversaire des accords du Perreux, qui marquèrent la réunification syndicale dans la clandestinité de la CGT. Sur cette lancée, ils devaient être suivis de la constitution du Conseil national de la Résistance, le 27 mai 1943. Outre plusieurs syndicalistes, un grand témoin a été invité à cette rencontre, 
Robert Chambeiron, qui est le dernier survivant du Conseil national de la Résistance (CNR). L'ancien secrétaire général adjoint du CNR, pour des raisons de santé, ne pourra être présent au rendez-vous du 14 avril. Avec le concours de son épouse, Danièle, Robert Chambeiron tient cependant à souligner l'importance du rendez-vous : 
«Les accords du Perreux ont constitué un progrès considérable dans la lutte du mouvement social français pour son unité. Comme l'a souvent déclaré François Mauriac, c'est dans le peuple, en premier lieu dans la classe ouvrière, seule restée fidèle dans sa masse à la patrie profanée, que réside la force vive de la Résistance. Non seulement l'accord réalisé entre les responsables des différentes tendances de la CGT met en échec la politique inégalitaire et antisociale dans laquelle le gouvernement Daladier, en 1939, voyait un instrument susceptible de briser l'unité du mouvement ouvrier français, mais au contraire, les syndicats français vont prendre une large part aux actions multiformes que développent les organisations syndicales de toute tendance, faisant ainsi de la CGT le point de convergence de tout ce qui résiste. Les accords du Perreux ont été un moment décisif dans la création du Conseil national de la Résistance, avec la présence à la réunion de la rue du Four, notamment, de Gaston Tessier et de Louis Saillant, signataires, l'un comme l'autre, de ces accords du Perreux. Il faut se réjouir que le Sénat ait récemment voté une proposition de loi faisant du 27 mai la journée nationale de la Résistance. Ce sera le devoir de toutes les organisations du monde combattant d'intervenir auprès des élus de la nation pour qu’ils prennent à leur tour le bon chemin que le Sénat a pris il y a un mois. Je ne peux jamais évoquer sans une profonde émotion cette période, qui fut pour moi une période exceptionnelle de ma vie, sans y joindre le souvenir de camarades qui me furent chers et qui me sont chers. Je pense notamment à Benoît Frachon, Louis Saillant, André Tollet, André Carrel, Henri Krasucki, et bien entendu Georges Séguy, qui sera présent au rendez-vous du 14 avril.»

Accords du Perreux « Un élan formidable donné au rassemblement de la Résistance

 

Les accords 
du Perreux, 
le 17 avril 1943, marquent 
la réunification de 
la CGT. Georges Séguy, résistant, déporté, secrétaire général 
de la CGT de 1967 
à 1982, évoque 
cet événement qui a constitué un tournant majeur de l’histoire 
de France.

Le 17 avril prochain aura lieu 
le soixante-dixième anniversaire des accords du Perreux. 
Pouvez-vous en éclairer 
le contexte et les conditions ?

Georges Séguy. En 1939, après le pacte germano-soviétique, une vague d'anticommunisme déferle sur le pays, avec l'interdiction du PCF et l'exclusion des dirigeants communistes de la CGT. Réunifiée en 1936, elle connaît alors des divergences sérieuses entre ses deux grandes tendances. Après l’interdiction du syndicat, dès 1941 et 1942, ses militants refusent d'accepter la volonté de Vichy de remplacer le syndicalisme constitué, en France, avec la CGT et la CFTC, par la Charte du travail, imposant une conception hitlérienne et fasciste du syndicalisme. Les syndicalistes sont poursuivis. L’idée de faire face ensemble grandit et notamment dans le cadre d'un débat entre Benoît Frachon de la tendance ex-unitaire, communiste, et Léon Jouhaux, de la tendance ex-confédérée, socialiste. Ce débat va se poursuivre jusqu'à la rencontre du Perreux, le 17 avril 1943, pour reconstituer la CGT. Cet événement ne fut pas inattendu pour nous car il y eut une concertation par militants interposés dans toute la France. La question était de savoir de quelle manière on allait parvenir à cette réunification, et, finalement, lorsque les représentants des deux tendances se sont retrouvés, ils ont tout simplement constaté que l'accord était quasiment unanime et qu’il suffisait de faire une déclaration pour annoncer qu’il avait été décidé, au plus haut niveau, de reconstituer la CGT telle qu'elle avait été unifiée au mois de mars 1936, à la veille de la victoire du Front populaire.

À cette date, à la suite de l’exécution de Pierre Semard, cheminot 
et dirigeant national de la CGT arrêté au début de la guerre, vous vous étiez engagé dans la Résistance.

Georges Séguy. C'est le jour où j'ai appris son assassinat, le 7 mars 1942, que j'ai pris cette décision. La répression était alors féroce. Je connaissais très bien Pierre Semard, qui était un ami de mon père et de notre famille. Quand j’ai appris ce crime, j’en ai été bouleversé, révolté, indigné ! J'avais quinze ans et je me suis engagé dans les FTP. Dans cette organisation militaire, j’étais trop jeune, évidemment, pour prendre les armes. J'ai donc été orienté vers une imprimerie, qui n'était pas clandestine mais qui s’était mise au service de la Résistance. J'étais officiellement en apprentissage, en fait, combattant volontaire.

Quels liens établir entre les accords du Perreux et la création du Conseil national de la Résistance ?

Georges Séguy. Les accords du 17 avril furent un événement mais il n’y eut pas de déclaration publique parce que, dans les conditions de l'action illégale, il était impossible de publier une déclaration officielle. C'était l'époque où Jean Moulin était à la recherche en France, sur mandat du général de Gaulle, d'un rassemblement de toute la Résistance pour que la lutte de ses forces, civiles et militaires, soit portée à un niveau supérieur. Le 17 avril apporta à Jean Moulin suffisamment d'éléments de conviction pour surmonter les réticences qui se manifestaient, et c'est pour cela que le 27 mai 1943 était créé le Conseil national de la Résistance, à savoir un organisme unique, une force commune, sous la même autorité. Ce fut un élan formidable donné à la Résistance, après la défaite des Allemands à Stalingrad, qui a signifié la fin du mythe de l'invincibilité de Hitler. L'idée que Hitler pouvait perdre la guerre a alors pris le dessus, et nous avons, nous, les résistants, rencontré beaucoup plus de compréhension dans l’opinion publique et parmi les patriotes qui voulaient participer à la Résistance mais n’osaient pas le faire.

Quelles furent les conséquences de ces événements ? Quels enseignements en tirer pour aujourd’hui ?

Georges Séguy. Ce fut le printemps de la France libre ! Un élan nouveau qui a abouti à la Libération et s'est concrétisé avec le programme du CNR. Les décisions de l'unification de la CGT et de la Résistance ont aussi réglé la question de savoir ce que deviendrait la France après la Libération. Serait-elle un protectorat sous le contrôle des ex-alliés ou deviendrait-elle l’une des quatre nations victorieuses à laquelle serait restituée une souveraineté intégrale ? La création du CNR a permis au général de Gaulle de se présenter aux alliés, à Churchill et à Roosevelt, comme l'unique chef, unanimement accepté par la Résistance intérieure française civile et militaire. Il n'était pas question d'envisager une autre solution que l'indépendance de la France. Cette page de l'histoire syndicale, son importance par les répercussions qu'elle a eues doit susciter une réflexion qui concerne le syndicalisme d'aujourd'hui. De même qu'en 1936 la réunification de la CGT contribua à la victoire du Front populaire, la réunification du 17 avril 1943 a contribué au rassemblement de la Résistance intérieure au sein du CNR et à son programme, qui a doté la France du meilleur modèle social du monde. Deux pages de l'histoire de la CGT qui sont riches d'enseignements pour le syndicalisme du XXIe siècle et qui témoignent de sa force, pour défendre mais aussi pour gagner des avancées, dans l’unité.

 

Entretien réalisé par Bruno Nolan