Les communistes héraultais et la guerre d’Espagne.

 

L’Espagne est une priorité du parti communiste de 1936 à 1938. Le parti se détermine avant tout comme section du Komintern. C’est la stratégie internationale qui prime. Avec une détermination totale jusqu’en juin 1938.  Les communistes qui vivent dans des départements proches de l’Espagne sont particulièrement concernés. L’Aude et l’Hérault forment une Région communiste en 1936. Il s’y trouve, bien avant cette date, une forte colonie espagnole. Le PCF est proche du PSUC, le Parti socialiste unifié de Catalogne. L’action antifasciste est aussi nourrie par la présence d’immigrés italiens dans les arrondissements de Sète et de Béziers. Chez les communistes, l’analyse des causes de la guerre civile et de ses implications n’a pas varié. En interne, même en 1939, ils ne se sont pas divisés. Mais les défaites des Républicains et  les évolutions de la diplomatie soviétique les ont obligés à adapter leur militantisme à ces variantes externes.

Avec quels moyens ? Et quels objectifs ?

Dans l’Hérault, ils ne tiennent pas les leviers du pouvoir : pas de députés ni de conseillers généraux, pas de mairies de grandes villes. Et pas d’argent. Ils ne disposent pas de réseaux d’influence : leurs dirigeants sont des ouvriers agricoles. Ce n’est pas fortuit : cela correspond dans cette époque aux choix ouvriéristes de l’encadrement, assorti de séjours dans les écoles du Parti. Balmigère premier secrétaire de Région, passe 6 mois à partir d’août 1936 à l’École centrale du Parti ; il en va de même pour Marc Domenech, secrétaire du rayon de Montpellier l’année suivante. Antonin Gros, communiste et unitaire, va en URSS à la fin de 1937. 

La force du PCF tient à l’engagement des militants et à leur nombre. Justement, la dynamique du Front populaire joue à plein. De 400 adhérents dans l’Hérault et 650 adhérents en Région au début de 1936, ils passent à plus de 2500 et 3 000 en 1937. Les Jeunes communistes, dans les mêmes intervalles, passent de 200 à 1 200  puis 2 350. A la fin de 1936, le journal régional, Le Travailleur du Languedoc a du succès : il tire à 5000 exemplaires dans l’Hérault et 6500 dans l’Aude.

Or, la presse communiste est  la seule qui suive de près les évènements d’Espagne. Dès juillet 1936, elle publie informations et articles de soutien aux républicains espagnols. Comme L’ Humanité , la presse locale réclame « des avions et des canons pour l’Espagne ».  Les communistes ne doutent pas : le camp républicain détient la légitimité. Ils croient à la victoire des Républicains. Un républicain espagnol qui prend la parole à Montpellier, en septembre dans le restaurant coopératif tenu par Michèle et Marc Domenech[1]  fait l’historique de la révolution espagnole et dit : « l’Aragon et la Castille ne seront jamais foulés par les rebelles ». Le front communiste est uni sur la question espagnole. Le gouvernement Blum est critiqué pour son adhésion à ce qui est nommé « le blocus contre l’Espagne »[2].

Mais l’URSS a adhéré au Comité de non-intervention. Et Staline ne veut pas engager militairement l’URSS : c’en serait fini de la politique de consensus avec les Fronts populaires. Alors il trouve un moyen de répondre aux aspirations de la base des partis communistes en accédant à une demande relayée par Maurice Thorez.  Le 18 septembre 1936  le Komintern est chargé de recruter des combattants dans tous les pays et de les envoyer en Espagne. C’est l’acte fondateur des Brigades internationales.

Désormais, les communistes ont leur feuille de route.  La  première consigne claire de soutien à l’Espagne. Cela consiste à héberger les brigadistes, à leur assurer des moyens de transport par terre ou par mer : sur des bateaux de pêche, ou des voiliers espagnols, avec l’aide du consulat républicain. Béziers est le principal point de passage des brigadistes. Paul Balmigère est  chargé de l’organisation du passage des brigadistes par Axat.  Beaucoup de réfugiés politiques fournissent les cadres : Italiens, Polonais, Allemands, Tchèques ; des Français aussi : le catalan André Marty est l’un d’eux. Le secrétaire régional Philomen Mioch le rejoint en Espagne en avril 1938 mais revient en mai et subit une disgrâce. Balmigère hérite de ses responsabilités dans l’Hérault. Onze  jeunes héraultais sont tués en Espagne dont 4 communistes. Les familles des brigadistes reçoivent une allocation. Un comité Franco-espagnol a été créé.  Il rassemble en quelques jours une centaine d’Espagnols et une vingtaine de Français. Le comité achète un camion, le pavoise aux couleurs de la France et de l’Espagne, et fait la collecte des vivres, des vêtements, des colis que les Espagnols de la région destinent à leurs familles en Espagne. Un bateau chargé de vêtements et de vivres part de Sète le 16 février 1937. Les dockers travaillent bénévolement, à l’exemple de ceux de Marseille[3].

Tout cela est organisé avec l’appui du Secours rouge international[4]. La solidarité humanitaire est une motivation. Ce n’est pas la seule : on trouve dans les feuilles du Travailleur du Languedoc tout l’argumentaire politique qui sous-tend l’action communiste : c’est la montée des fascismes en Italie, en Allemagne et désormais en Espagne, qui menace la France elle-même. C’est un danger pour la paix et un  ferment de guerre civile[5].

 Il y a jusqu’en décembre beaucoup de réunions dans diverses communes. Des discours, des affiches, des tracts. L’intérêt pour la question espagnole ne se dément pas. Il est attesté tant par la fréquence des meetings du parti communiste en 1936 et 1937 que par le nombre des participants. On y écoute des intervenants espagnols qui sont des militants antifascistes, et des députés communistes comme le marseillais Cristofol , comme Jacques Duclos et Guy Mocquet : faute de place,  il faut parfois mettre dehors des hauts-parleurs. Le député de Courbevoie, Etienne Fajon, qui est le fils du maire de Jonquières, et le responsable en France des Ecoles du Parti vient souvent dans l’Hérault

 Mais, si on se réfère aux rapports des RG sur ces réunions, la question espagnole est peu à peu éclipsée en 1937 par d’autres priorités propres à la France : Léon Blum a annoncé en février la pause des réformes, il y a une reprise des grèves, la crise économique est grave. La confiance dans la victoire des républicains s’affaiblit.

Jusqu’à la fin de 1937, il y a très peu de réfugiés en Languedoc et  l’Hérault n’est pas un département d’accueil. Le gouvernement Blum a reconnu le droit à l’asile politique mais assorti d’un éloignement de la frontière « sauf attaches sérieuses». En mai, le gouvernement a désigné 45 départements d’accueil provisoire, tous au nord de la Garonne. Les hommes de 18 à 48 ans en sont exclus : il sont refoulés. Depuis la chute du premier gouvernement Blum, le ton s’est durci. La France ne consent à garder que les femmes, les enfants et les blessés.

EXODES

Mais la guerre arrive à la frontière des Pyrénées. En juillet 1937, le préfet de l’Hérault adresse une circulaire à tous les maires : il leur demande de prévoir des locaux et des secours pour les réfugiés espagnols. Il reçoit en réponse une vague de refus : pas de locaux et trop de chômage pour que les communes puissent disposer de fonds. Lamalou invoque les besoins des touristes et des curistes, et en plaine on garde les locaux pour les vendangeurs. Des particuliers se disent prêts à l’accueil. Mais on ne prévoit pas ce que sera la Retirada. En novembre, le gouvernement croit encore pouvoir endiguer les flux et les coûts et organiser le rapatriement.

L’opinion est loin d’être unanime : les réfugiés espagnols ont une belle image dans les milieux communistes mais elle est détestable chez les conservateurs qui ne les voient pas comme des victimes mais comme de dangereux révolutionnaires, des anarchistes,voire des criminels. Pour certaines corporations ils sont des concurrents sur un marché du travail déjà sinistré. En 1938, la crise viticole rassemble une masse d’ouvriers agricoles dans les meetings. Les communistes persistent dans leur effort de solidarité : en octobre Balmigère à Béziers, annonce que le parti communiste va lancer un emprunt international en faveur des républicains espagnols.

1938 a été difficile pour les communistes français. Ils se retrouvent isolés politiquement. Et troublés aussi par l’évolution de la politique de l’URSS à l’égard de l’Espagne : en juin, le principe du retrait des brigadistes est acquis. La thématique de l’antifascisme et des fronts populaires cède la place à la critique de l’impérialisme et des puissances occidentales. La mobilisation en faveur de l’Espagne, déjà difficile à cause des divisions de l’opinion et des partis, pâtit du désengagement soviétique. Or, la bataille de  Catalogne est engagée en décembre 1938. Bien des réfugiés arrivent dès les dernières semaines de l’année. Des responsables communistes de Sète racontent qu’un bateau chargé de réfugiés est arrivé au port et qu’ils ont pu les abriter dans un magasin du quai Vauban ; ils ont découvert un nouveau-né abandonné dans la cale et il a été recueilli par un couple de militants. Environ 1 000 réfugiés viennent dans l’Hérault par mer.

Les consuls espagnols avaient averti les préfets des départements les plus proches de l’Espagne du risque d’un exode massif si la Catalogne tombait aux mains des franquistes. Mais Albert Sarraut leur avait ordonné de ne rien faire qui pût donner aux Espagnols l’impression qu’en cas de défaite, tout était prêt en France pour les recevoir. A deux reprises  le gouvernement français avait suggéré la création d’une zone refuge neutre en Espagne pour les Catalans : ni le républicain Negrỉn ni le Général Franco n’avaient donné leur accord[6].

Le 10 février 1939 les troupes nationalistes contrôlent toute la frontière Pyrénéenne. Quinze jours plus tard, Angleterre et France reconnaissent le gouvernement du général Franco.

La frontière d’abord fermée fin janvier, gardée par des gendarmes, des gardes mobiles  et des troupes coloniales, est quand même ouverte le soir du 27 janvier pour les civils et les blessés, puis du 5 au 9 février pour le passage des soldats républicains qui doivent abandonner leurs armes. C’est un exode dantesque souvent décrit. Une circulaire du ministère de l’Intérieur du 14 février 1939 a fait de ces réfugiés des suspects politiques

Les civils sont rapidement envoyés vers l’intérieur sauf s’ils peuvent justifier d’un accueil. Chez les communistes héraultais il y a alors beaucoup d’actes de solidarité individuels.  Les réfugiés arrivés en masse sont hébergés dans des conditions souvent précaires ou internés à Agde.  Plus de  7 000 miliciens, des Catalans, sont dans le camp en mars. Pour continuer à tenir malgré tant d’épreuves et maintenir une forme de résistance ils luttent pour la sauvegarde de l’identité culturelle qu’incarnait la République espagnole. Avec des moyens dérisoires, les internés organisent des séances d’alphabétisation, d’enseignement des langues, de causeries sur la poésie. Ils créent de petits bulletins, souvent manuscrits[7]. La solidarité des communistes héraultais se traduit alors par une aide à cette survie culturelle. Ils soutiennent l’effort du Parti communiste espagnol et du parti communiste de Catalogne, pour faire entrer dans le camp des journaux : L’Humanité, mais aussi Treball, organe du PSUC. Sept numéros paraissent entre fin février et fin mars 1939, puis les autorités françaises ordonnent la suspension. A Montpellier, un mouvement proche du PSUC, L’ Alianza nacional de Catalunya arrive à éditer huit numéros de Reconquesta. Les publications sont éphémères parce que le gouvernement français cède aux pressions de Franco qui veut qu’on traque « les rouges ».

  Montpellier est un pôle de solidarité avec les intellectuels catalans qui sont pris en charge par un Comité : 180 sont dans ce cas en mai. Ils échappent ainsi à l’internement. Heureusement les communistes ne sont donc pas les seuls à avoir apporté un soutien. Le nombre des internés a augmenté de 7 000 en mars jusqu’à plus de 23 000 en juin - juillet, et a décru ensuite jusqu’à 2 600 en septembre[8]. Les camps sont  devenus des réservoirs de main-d’œuvre quand la France a organisé les CTE (Compagnies de Travailleurs étrangers) par unités de 250 hommes valides de 20 à 48 ans. Deux CTE ont été prélevées sur Agde, essentiellement pour des travaux agricoles. En septembre, c’est pour des travaux d’intérêt militaire que les internés ont été requis dans les camps de quatre départements : Hérault, P.O., Tarn et Garonne, et Basses Pyrénées. Enfin, malgré de grandes réticences, on a enrôlé les réfugiés valides dans l’armée. En exigeant de tous une stricte neutralité politique, sous peine d’expulsion.

Il y a eu environ 25 000 réfugiés espagnols dans l’Hérault. En 1940 quand l’Hérault deviendra département d’accueil, il recevra 132 000 réfugiés. Les Espagnols ont été les seuls à souffrir d’une véritable discrimination. Leurs alliés communistes le sont aussi. Marc Domenech a recruté des remplaçants dans la double perspective des arrestations – elles ont commencé avec la signature du pacte germano-soviétique en août-, et de la mobilisation. Le secrétaire général de la Région communiste, Raoul Calas, Marc et Jean Domenech, Paul Balmigère, Philomen Mioch, sont mobilisés [9]. Antonin Gros, plus âgé, aide les internés d’Agde  avec le responsable communiste du Secours populaire français,  mais il est surveillé. Il sera arrêté et interné en avril 1940. Le parti qui a été le plus ardent défenseur de la cause des républicains espagnols se voit peu à peu réduit à l’impuissance.

 

 Finalement,  le PCF, le PCE et le PSUC sont interdits le 26 septembre 1939 et les responsables espagnols restés en France sont internés.

 

  Hélène Chaubin.

 


[1]  Maitron :biographies de Michèle et Marc Domenech

[2]  A.D. Hérault, 1M1123, Parti communiste.

[3]  Notes de Jacques Blin.

[4]  Théo Lalande, « Souvenirs de lutte », brochure éditée par la section de Sète du PCF, 1960.

[5]  Le Travailleur du Languedoc, août et septembre 1936.

[6]  Geneviève Dreyfus-Armand, L’exil des républicains espagnols en France, Albin Michel, Paris, 1999, 475p.

[7]  Geneviève Dreyfus-Armand, op. cité.

[8]  A.D. Hérault, 4M1796, Etats statistiques des réfugiés espagnols par commune et par département de mars à septembre 1939.

[9]  Maitron. Biographies.