Tribune libre - Article paru dans "l'humanité" le 10 juillet 2008

Nous agissons, nous vivons en présence de toutes les langues

Simultanément, le Sénat et l’Académie française se sont érigés contre la place faite aux langues de France (dites régionales) dans le débat sur la révision de la Constitution, les sénateurs rejetant

la reconnaissance des langues régionales comme patrimoine de la nation dans la Constitution !

« Atteinte à l’identité nationale », disent les sages de l’Académie française. Mise en cause de « l’unité de la République », risque « d’enfermement régionaliste ou communautariste », disent les sénateurs qui par leur vote remettent en cause ce que leurs homologues député-e-s avaient bel et bien voté (1).

Une vive inquiétude s’est manifestée, non seulement dans les milieux sensibles aux questions de la diversité culturelle, mais aussi chez celles et ceux qui refusent de se laisser enfermer dans des débats aux relents de repli identitaires.

Félix Marcel Castan, militant communiste, écrivait dans son manifeste d’août 2000 : « La difficulté commence quand il s’agit d’une République ouverte, et d’autre chose que des simples individus. Il faut alors approfondir l’analyse et s’interroger sur le principe d’égalité lui-même. On redoute, à juste titre, le danger de communautarisme. Les communautarismes sont mortels : y compris le communautarisme national… Une politique d’exclusion des cultures et des langues, dans l’intérêt d’une seule, semble incompatible avec l’idéal républicain de cohabitation des disparités. »

Et en septembre 2007, une tribune libre de l’Humanité accueillait une réflexion d’Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau sous le titre « Les murs », comme une réaction nécessaire, un manifeste utile pour combattre la création d’un ministère de l’Identité nationale lié dans sa dénomination à l’immigration et au codéveloppement. Ils écrivaient notamment : « La tentation du mur n’est pas nouvelle. Chaque fois qu’une culture ou qu’une civilisation n’a pas réussi à penser l’autre, à se penser avec l’autre, à penser l’autre en soi, ces raides préservations de pierres, de fer, de barbelés, ou d’idéologies closes, se sont élevées, effondrées, et nous reviennent encore dans de nouvelles stridences. Ces refus apeurés de l’autre, ces tentatives de neutraliser son existence, même de la nier, peuvent prendre la forme d’un corset de textes législatifs, l’allure d’un indéfinissable ministère, ou le brouillard d’une croyance transmise par des méthodes qui, délaissant à leur tour l’esprit de liberté, ne souscrivent qu’à leur propre expansion à l’ombre des pouvoirs et des forces dominantes. »

Nous « croyons » que les langues portent des cultures et que la langue française elle-même est le vecteur de cultures bien différentes dans les pays de la francophonie.

Ce sont les cultures que portent ces langues qui contribuent à constituer des identités nationales. La nôtre est aussi le fruit de toutes ces cultures.

M. Sarkozy veut nous imposer une conception de l’identité nationale fondée sur une racine unique. C’est cette conception qui lui permet de « réduire » Guy Môquet à un jeune Français, patriote, mort pour son pays, niant du même coup tous les autres traits de sa culture, ceux qui le construisent dans la Résistance au côté de tous ceux qui luttent avec lui, si différents et qui ensemble construisent une identité nationale faite de racines multiples.

La République n’est pas mise en cause par les langues régionales mais par son incapacité à prendre en compte la diversité qui enrichit l’unité nationale.

Ce ne sont pas les langues de France qui menacent la langue française, elles sont parties intégrantes d’un patrimoine vivant sur le territoire hexagonal. Elles devraient bénéficier des moyens d’enseignements et d’une place dans l’audiovisuel public.

L’Europe n’a pas non plus d’arrière-pensée régionaliste de nature culturelle. Le traité rejeté avec sagesse dans notre pays, notamment, proposait sur cette question que « l’Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique ».

Curieux regroupement ? Nous serions tentés de dire merci pour le respect, mais toutes les cultures de l’Europe et toutes les langues qui les portent méritent mieux que la neutralité d’État qui sied par contre à l’égard des opinions religieuses. Elles revendiquent l’application de la charte européenne des langues régionales que déjà, en 1999, le Conseil constitutionnel avait écartée. Elles demandent de la reconnaissance pour des échanges fructueux qui s’enrichiront des identités nationales diverses et qui sauront aussi les enrichir.

La démocratie ne peut s’établir sur la peur de l’autre, sauf à vouloir défendre des intérêts égoïstes. Notre liberté commence où commence celle de l’autre, après c’est affaire de débat et de construction commune.

Toutes les propositions démocratiques dans lesquelles nous nous reconnaissons visent à dégager des espaces nouveaux de pouvoirs pour les citoyens dans les institutions, dans les quartiers, dans les entreprises ; pour leur permettre de définir eux-mêmes la façon dont ils entendent exercer ce pouvoir pour construire de nouveaux rapports sociaux dans lesquels rien ne leur serait soustrait de ce à quoi ils ont droit et de ce qu’ils sont.

Puisque l’on parle d’identité nationale, le débat sur les langues de France n’est pas marginal au débat sur la Constitution. Il est même central. Nous appelons chacune et chacun à intervenir pour stopper le discours unique de la peur de l’autre et de la différence qu’il porte. Nous laissons ce discours à d’autres.

(1) Seule Gélita Hoarau, du groupe communiste et citoyen a voté contre ce rejet, et Gérard Le Cam s’est abstenu.

* Vous pourrez retrouver les trois signataires de cette tribune le 11 juillet à 15 h 30, au Festival d’Avignon, pour un débat sur cette question ; débat auquel se joindra Philippe Martel, chercheur au CNRS, et qui aura lieu au jardin de la Parenthèse, 18, rue des Études.

Jacques Blin, citoyen communiste, animateur du groupe de réflexion sur les langues de France (régionale) au PCF ; Michel Vaxès, député communiste des Bouches-du-Rhône ; Francis Parny, membre de l’exécutif national du PCF, vice-président du conseil régional d’Île-de-France.