Après avoir rendu hommage à l’équipe qui a réalisé le travail présenté au Palace, j’ai dit quelques mots sur l’absence officielle des célébrations de la Libération de Sète. Rien dans le programme officiel de la Saint-Louis ne rappelle cet évènement, sinon la cérémonie habituelle à Rose Roc.
Présentation de mon travail et du livre à sortir…
Soixante dix ans que le peuple de France se libéra de la barbarie hitlérienne. 70 ans que le silence pesait sur une partie des archives de l’époque de l’occupation. 70 ans après, l’histoire dans sa dimension populaire devient un enjeu et l’histoire de la période de l’occupation se trouve réduite à des faits militaires.
70 ans et les idéaux du Conseil National de la Résistance sont mis à mal. Bien que je ne sois pas historien, j’ai voulu tenter une recherche historique, non pas dans le but de refaire cette histoire, mais pour essayer de témoigner de ce qui fut le quotidien de ces femmes et de ces hommes qui se sont trouvés au cœur de cette histoire. J’ai conscience des difficultés de l’aventure dans laquelle je me suis lancé. Bien qu’essayant d’être objectif, bien qu’étant soucieux de diversifier mes sources il y aura certainement des lacunes dans la documentation à laquelle j’ai fais appel. Mais il ne faut pas se le dissimuler : aborder cette période ce ne peut pas être une histoire innocente ou simplement narrative des faits qui s’y sont déroulés. C’est donc conscient de ces risques que j’assume cet ouvrage et l’éclairage qu’il veut porter sur le quotidien de Sète, sur des femmes et des hommes qui ont évolué dans un contexte complexe, au cœur d’une véritable dislocation nationale.
J’ai voulu partir de 1936, car 1939-1945 est fait des espoirs et des désillusions du peuple de France :
1936, le Front Populaire et ses avancées démocratiques et sociales.
1936 c’est aussi une dimension de la Solidarité Internationale envers l’Espagne Républicaine. La grande bourgeoisie française, profondément effrayée par le mouvement du Front populaire en France et en Espagne, fit tout pour arrêter cet élan des masses, y compris en cherchant des appuis à Berlin. Le souci qui prédominait dans la politique de notre pays depuis 1918 – 1920, après la Révolution d’octobre et la naissance du PCF, visait à combattre et à détruire militairement l’Union Soviétique, considérée comme le cœur du mouvement ouvrier et le moteur de ses espoirs. On peut donc considérer que la classe dirigeante ne prépara pas la guerre et elle accepta la défaite comme le moyen d’asseoir plus sûrement sa domination.
Avec le recul du temps, la lecture de la presse de l’époque et les archives qui s’ouvrent, nous pouvons mieux saisir la globalité des problèmes et des évènements. Dans cette recherche Il ne me semble pas faire preuve d’esprit partisan en montrant que le Parti communiste français, porteur d’initiatives au plan local comme au plan national, a été un des acteurs important pour d’une part organiser la solidarité matérielle et humaine avec l’Espagne républicaine, mais aussi en contribuant à la lutte armée avec les brigades internationales. Et d’autre part en contribuant fortement au combat pour la Libération de la France. En disant cela, je ne veux pas dire qu’il a été le seul. Pour l’Espagne on trouvera d’autres républicains sétois engagés dans des actes de solidarité. Pour la Résistance, il y a eu d’autres personnes et d’autres mouvements de Résistance. Mais à voir l’acharnement que certains mettent à dire que les Communistes ont tardé à entrer en Résistance, il faut opposer les faits à cette dénaturation de l’Histoire. La presse de l’époque ne parle que de répression envers les communistes.
Si la signature du Pacte Germano-Soviétique pose problème à bien des militants communistes le 24 août 1939, pour autant cela n’affectera pas leur détermination à lutter contre la guerre qui s’annonce le 3 septembre 1939. La France et l’Angleterre qui ont laissé trainer les négociations avec l’URSS pendant de longs mois s’indigneront de cette signature. Par contre tout est fait et tout sera fait pour oublier les accords de Munich de septembre 1938, où la France, l’Italie, l’Angleterre ont laissé démembrer la Tchécoslovaquie au profit de l’Allemagne.
Je me disais que faire œuvre utile pour s’inscrire dans ce 70ème anniversaire, était de prendre le temps d’aller voir de plus près cette période. Témoignages écrits, souvenirs douloureux et tâtonnants, confrontés aux archives qui s’ouvrent, ont permis de donner vie aux actes décrits dans mon ouvrage, à cette vie de refus de l’asservissement. J’en arrive à un total de plus de 500 noms cités dans mon travail. Noms connus, mais pour beaucoup noms tirés de l’oubli. Parmi ces 500 noms beaucoup ont apporté une pierre même minime à la solidarité et à la lutte contre l’occupant. Journaux de l’époque à l’écriture servile et laudatrice d’une politique au service de l’occupant et de la collaboration, ont permis cependant de marquer quelques traits de la vie quotidienne, faite de difficultés devinées au travers des chroniques du rationnement, de la défense passive et de quelques faits divers. Par ailleurs, ils montrent que la vie artistique continuait avec quelques noms connus, de passage à Sète. Elle se profile en toile de fond en s’inscrivant dans les encadrés des annonces de films ou de spectacles.
Bien que connaissant la vie militante de certaines personnes, femmes et hommes, mes recherches m’ont permis de les découvrir sous des jours nouveaux et de comprendre des attitudes que j’ai côtoyées dans ma propre vie militante. Ainsi la volonté de rassemblement inlassable de Gilbert Martelli, l’ancrage populaire de Pierre Arraut, la détermination humaniste de Ninette Badier et de son mari Jo. La droiture et la gentillesse de la Famille Theule (Ferdinand, Juliette et Yolande). Les souffrances de François Chafes et des autres déportés comme Henriette Lalande épouse Isoird. Cela m’a permis de mieux saisir leur engagement et leur volonté de témoigner de ce qu’ils avaient vécu, auprès des collégiens et des collégiennes. Henriette, Amato Fortuné, Yolande et bien d’autres. François Chafes vient de laissert trace de son témoignage dans le travail réalisé avec les lycéens de Joliot Curie sous l’œil de la caméra d’Hélène Morsly. Travail que vous avez pu voir ici. Cela m’a permis aussi de découvrir la volonté de la famille Tarbouriech à poursuivre le combat de Maurice.
Je voudrais préciser également que mon parti pris est volontaire et ne retrace que les actes de celles et ceux qui ont agi dans la ville. Bien d’autres d’origine sétoises ont eu des actes valeureux dans des maquis de la Région. Mais mon regard est resté sur la ville.
Ce travail m’a fait découvrir l’action importante et méconnue de ceux qui ont œuvré clandestinement dans la police. L’action des travailleurs des Ponts et Chaussées et de quelques cheminots. Ainsi, j’ai retrouvé Mr Cambours qui a mené une action importante pour préserver le Pont de la Victoire menacé de disparition en 1993, par un projet de tunnel du Maire Marchand, alors qu’il avait sauvé de la destruction allemande ce même pont. Bien qu’ayant croisé le nom que beaucoup citait et prononçait avec respect, celui de Louis Hugon, j’espère avoir mieux situé l’importance de la place qu’il occupa dans l’action clandestine et au service du renseignement. Je remercie un de ses fils, Jean Pierre qui m’a remis une copie du rapport Kervarec, Mission Schooner. Ce rapport dont je fais état montre les actes d’anti sabotage à mettre à l’actif de patriotes. Mais aussi à l’actif de simples citoyens comme le rappela Auguste Vié dans une interview donnée à La Marseillaise « En dehors des résistants engagés comme moi, il y avait beaucoup d’anonymes. Je vais raconter une histoire peu connue. Celle de Mr Cayrol XE "CAYROL" , un petit plombier-zingueur qui avait un magasin à la marine. Il effectuait des petits travaux chez Noilly Prat où j’allais voir mon père qui y était employé. Un jour, il m’aborda et il me dit « Auguste, je sais que tu es dans la résistance et ne me fais pas de chansons. Moi sur le coup je me méfie…Il poursuivit, je suis un patriote fervent et je voudrais faire quelque chose. Je lui réponds quoi ? Il me répond, tu sais que les allemands placent des mines au bord des quais et que le jour où ils seront obligés de partir, ils feront tout sauter. Alors, il y a des coins du port qu’il faut sauver avant tout. Les quais en eau profonde le préoccupaient car il disait qu’après la Libération cela permettrait d’avoir rapidement des liaisons maritimes et que c’était là en priorité qu’il fallait intervenir. Bien je lui répondis, mais qu’est-ce qu’on peut faire ? Alors il me dit je voudrais savoir comment sont composées les mines et moi je me charge de les désamorcer. J’allais voir le commandant Hugon XE "HUGON Louis" que j’avais connu par Mme Theule XE "THEULE-LIBES Juliette" , il faisait parti du mouvement de Libération Nationale et était commandant du port. Il me fournit les indications que je lui demandais ainsi que le moyen de mettre hors circuit les explosifs (la cheddite[1]) en y coulant du ciment prompt. Il m’expliqua que ce procédé permettrait de faire une couche isolante et que ça ne sauterait pas. J’allais dire ça au vieux Cayrol, il me dit bon ça va, je vais en boucher quelques-unes. Je m’interrogeais, comment allait-il s’y prendre ? Son coup fut très simple, une musette, une bouteille en verre foncé bien bouché pour que le ciment prompt ne soit pas au contact de l’air et une canne à pêche. Et il allait pêcher à côté des bouches de mines et là, il y avait toujours les allemands qui le regardaient avec le sourire. Il montait de temps en temps un gobi et au moment où les allemands en avait marre de le regarder pêcher, il sortait la bouteille, levait le bouchon et hop ! Tous les jours il a fait le tour des quais, Cayenne, Le quai François Maillol, celui de la République, et tous les quais en eau profonde…. »
D’autres personnages apparaissent dans leurs contradictions. Ainsi M. Cazzani, farouche MRP à l’anticommunisme bien trempé qui fit des actes de résistance après avoir été initié par le marin communiste André Renaud. Sète connu également la plus forte proportion de juifs du département raflés le 26 août 1942. 68 % à Sète contre 38 % dans le département
Je voudrais préciser que mon but n’est pas de régler des comptes ni de révéler des listes de noms de collaborateurs. Certains apparaissent parce qu’ils ont occupé des rôles de premier plan et que la presse a largement fait place à leurs initiatives et à leur détermination farouche. Je cite dans mon ouvrage le chef de « Collaboration » M. Mazaury. Il œuvrait en collaboration avec le chef de la Gestapo locale et il fut victime d’un attentat : François Chafes XE "CHAFES François" se souvint avoir participé, en spectateur, à la sortie du cercueil de son domicile, afin de voir « les jeunes qui leurs tiraient dans les pattes ». * * *
Je fait la relation d’un fait méconnu, mais qui semble avoir une importance dans le processus de réunification syndicale et par la suite dans le mouvement de réunification de la Résistance, la tenue à Sète de réunions avec la participation de Léon Jouhaux, secrétaire de la CGT et signataire des accords Matignon en 1936 auxquelles participa Louis Saillant qui fut par la suite président du Conseil National de la Résistance et grand dirigeant de la CGT. La réunion la plus importante se tint à Sète le 26 août 1940.
* * * Ce travail montre aussi que la Résistance n’a pas été qu’une affaire d’hommes. J’ai parlé précédemment de la Famille Theule, Juliette et Yolande furent très active. L’action à la poste de la mère, avec les communistes Auguste Vié et Emile Banis fut efficace. La jeunesse de Yolande mise au service du renseignement, très utile. J’ai cité également Ninette Badier, ses actes lui valent l’honneur de figurer sur la liste « S » établie en avril 1943. Rare femme figurant sur cette liste de personnes à mettre en état d’arrestation dès réception de cette liste. Elle y figure avec Ferdinand Theule notamment. Nous retrouvons Annonciate Vidal, Mme Bancilhon dite « la puce » lors des manifestations de ménagères en janvier 1942 Manifestation pour du pain et de la nourriture, manifestation réprimée à coup de jet d’eau par des employés de mairie. Elles furent nombreuses à être agent de liaison et restèrent trop souvent dans l’oubli. Une responsable de la JOC de l’époque s’élèvera contre la condamnation à mort du député communiste Raoul Calas. * * * Je disais en préambule, que l’on voulait réduire la portée de ce 70ème anniversaire, ainsi les commémorations du débarquement ont monopolisé les écrans. La professeure émérite, A. Lacroix-Riz a publié récemment une étude intéressante sur ce thème « Le débarquement du 6 juin 1944, du mythe d’aujourd’hui à la réalité historique ». La reprendre ici serait trop long, mais certains faits méritent d’être rappelés pour se confronter à ses écrits. Les médias ont entretenu en ce mois de juin le mythe de la libération américaine, Gommée la Résistance, occultés les sacrifices de l’Armée Rouge qui par ses offensives sur le front de l’est permirent de dégarnir la côte atlantique. L’historienne cite deux de ses confrères américains qui ont montré que c’était l’URSS, « instrument militaire de la victoire » qui était la cible des futures conquêtes américaines et non le Reich, pourtant désigné comme ennemi « des Nations Unies » Un long rapport paru en mars 1944 « sur les bombardements de l’aviation américaine et les réactions de la population française » mit en évidence les effets des raids meurtriers et inopérants. L’indignation gagnait depuis 1943, mettant en difficulté les américains dans leur désir de contrôle de notre territoire national. C’est donc dans une atmosphère de rancœur contre ces « alliés » qu’eut lieu le débarquement du 6 juin 1944. Cependant ces bombardements continuèrent, ainsi le 25 juin 1944 à Sète… «Il était 9 h 10 du matin. Les habitants de notre paisible cité vaquaient à leurs occupations habituelles, lorsque les sirènes firent entendre leur lugubre hurlement. Peu après une vague d’avions apparaissait dans le ciel, et l’on entendait parfaitement le vrombissement des moteurs. Le fait est courant et les Sétois n’y prêtaient qu’une attention minimale, puisque les appareils volaient très haut (4.000 mètres selon la presse). Mais leurs évolutions répétées au-dessus de la ville firent se précipiter les gens vers les abris. Tous n’y étaient pas encore, que de formidables explosions secouaient le sol et que du ciel pleuvait la mort, la souffrance et les larmes. Pendant cinquante minutes sans arrêt, c’est le martèlement continu, tandis qu’une fumée opaque enveloppe la ville. » Sète, Balaruc, Frontignan furent durement touchés sans qu’aucun objectif militaire soit atteint, la liste des civils morts sous les bombardements anglo-américains fut longue. A Sète, on parle de « 40 cercueils ». Pendant ce temps, le peuple résistant de Sète parmi les quelques 3.500 personnes qui restaient à Sète créait les conditions de la Libération de la Ville qui intervint le 24 août 1944.
* * *
Par environ cinquante biographies, je retrace les parcours de ces hommes et de ces femmes. Je situe les lieux de la ville où s’inscrit la mémoire de certains d’entre eux.
Ce travail, pour moi, fait partie intégrante de mes recherches et de ma volonté de témoigner de l’importance du mouvement ouvrier et de son rôle déterminant dans l’histoire. Les avancées sociales et démocratiques gagnées en 1936 et celles contenues dans le programme du Conseil National de la Résistance, sont aujourd’hui remises en cause par la volonté du patronat de prendre sa revanche.
Alors si on ne parle pas trop de la Résistance aujourd’hui, c’est parce que l’on veut que le discours sur la crise pénètre les esprits. Alors que notre pays est plus riche qu’au sortir de cette période, le peuple en mouvement avait su mettre en place une politique de justice sociale et de solidarité qui passait par le développement du Service Public.
La Résistance, 70 ans après, doit trouver la volonté de rassemblement qui a présidé à ces heures noires.
[1] La cheddite est une classe d'explosifs à base de chlorates. Ces explosifs tirent leur nom du fait qu'ils étaient d'abord fabriqués au début Du XXème siècle dans le village de Chedde (commune de Passy) en Haute-Savoie. Différents types de cheddite étaient produits. Ils étaient principalement utilisés dans l'exploitation de carrières..
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