« Dans leur dernière réunion du 24 Janvier, 10 h, Bourse du Travail, 600 chômeurs ont voté un ordre du jour qui a été remis à Mr le Maire, par une délégation composée des corporations du port, pour obtenir le plutôt possible les fonds de chômage. La délégation a reçu de Mr. le Maire, la confirmation que la caisse des fonds de chômage fonctionnerait à partir du lundi 3 Février.
Forts de cette déclaration, la délégation s’est retirée satisfaite. Quant au Comité de Chômeurs, il continue toujours de fonctionner et se tiendra en permanence, les jeudis à la Bourse du Travail. Le Comité prie tous les chômeurs, sans distinction de corporations d’assister à la réunion générale, le mardi 28 à 18 h, Bourse du Travail. Le Comité donnera un compte rendu des démarches faîtes à ce jour. – Le Comité. »
(Information Méridionale du Mardi 28 Janvier 1936)
Dans cette séance nous relèverons deux points qui sont tout à fait différents, mais qui montrent que le chômage, si il est grave, peut côtoyer d’autres questions « aussi graves »…
Le Conseil examine un projet de bail à intervenir entre la Ville et Mr Jean
VIDIL (demeurant à Paris) pour la location d’un local devant servir au
fonctionnement du Fonds Municipal du Chômage, il est situé 24 Quai d’Alger.
Le Conseil Municipal adoptera cette proposition ainsi qu’une location annuelle
de 3.500 Frs.
Une autre question est soulevée ensuite par le Maire, intitulée « Affaire mots croisés sur Sète – Paris Soir », mais quand est il ? le Maire répond…
« Un grand nombre de lecteurs, dans la France entière, ont comme passe temps, les mots croisés. Sur le numéro de « Paris Soir » du 8 Février, nous avons été surpris de lire « Ce fut un port français, ce n’est plus rien » . Il s’agirait de notre Ville, de notre Port.
Le fait est relaté dans un article du journal « Le Petit Méridional » du Dimanche. A la suite de cela, je vous propose, l’ordre du jour suivant :
Le Conseil Municipal
Prenant acte d’une note publié par le « Petit Méridional » dans son numéro du Dimanche 9 Février courant et relative à une incorrection commise à l’ encontre de notre Port par un quotidien parisien.
Considérant que des insinuations de ce genre, quelles soient conscientes ou inconscientes, sont de nature à jeter le discrédit sur notre Port, ainsi que sur notre Ville. Et regrettant qu’elles se reproduisent trop fréquemment, passe à l’ordre du jour… »
Mr Bergougnoux fera remarquer que la définition peut s’interpréter tout autrement c'est-à-dire sur l’ancienne orthographe de CETTE et c’était le cas. CETTE étant un Port, ce n’est plus rien parce que ce Port s’appelle SETE maintenant.
« Lorsque les élections législatives arrivent , un meilleur climat d'entente existe entre la Section Socialiste et la Section Communiste. Débarrassés d' ESCARGUEL, les socialistes apparaissent plus unitaires. Au deuxième tour, nous fîmes campagne commune sur la base du pacte d'unité d'action et assurâmes ainsi le succès du socialiste SALETTE. Cette campagne que nous avons menée avec Antonin GROS , comme candidat,fut magnifique dans notre circonscription autant pour l'organisation que pour le succès enregistré (Antonin GROS obtint 2.881 voix.
Quelques jours après les élections , il fallut penser à réaliser le programme pour lequel les ouvriers avaient voté en masse . Pour le Front Populaire du Pain , de la Liberté et de la Paix . Dans une réunion de la C.A de la Bourse du Travail , on dût lire le texte d'un ordre du jour du Bureau Confédéral (paru dans l'Huma) sous la signature de Benoît FRACHON. Texte dans lequel. il était dit que les syndicats à la base étaient habilités pour faire aboutir leurs revendications à utiliser les moyens et les formes de luttes qui leur conviendraient le mieux . Déjà la région parisienne et d'autres coins de France avaient occupé les usines . Sète à son tour allait , dès le lendemain de cette réunion , entrer dans l'action. On occupa les bateaux, les chais, les usines, les routes. Et toutes les professions rentrèrent dans le mouvement. Pendant dix jours , Sète vivra des journées exaltantes et inoubliables. Des manifestations grandioses se déroulaient journellement et dans le plus grand calme, malgré les refrains de "l'Internationale" clamés avec force à longueur de journée et repris par les gosses des écoles qui en firent leur chant préféré…. »Chaque syndicat ira trouver Raoul ISOIRD pour se faire confectionner sa banderol^e , ornée du marteau et de la faucille,des trois flèches, du bonnet phrygien.Notre jeune groupe artistique populaire, émanation des Jeunesses Communistes , allait tous les jours réconforter et distraire les grévistes occupant les usines et les chais . Les principales revendications furent acceptées — revalorisation des salaires , congés, les 40 Heures , etc... »
(Cahier souvenir de Théodore LALANDE)
Dans le Journal « l’Information Méridionale » daté de ce samedi 13 Juin 1936, paraît un communiqué adressé aux Travailleurs du Port et qui appelle à une réunion Intersyndicale le soir même, à 6 heures. Il dit en substance :
« Il y a cinq ans, que les salaires ont été diminués par des patrons qui reconnaissent qu’à Sète, il n’y avait pas de crise et dans une période ou les statistiques des importations et exportations accusaient un excédent de tonnage sur les années précédentes.
Un coefficient truqué, qui devait glisser indéfiniment sur la pente des diminutions, fut appliqué.
Le Chômage (à voir)
Des protestations démagogiques s’élevèrent. Les amputations de salaires s’exécutaient sans qu’on daignât même prendre avis des syndicats.
Le Congrès d’unité, la fusion des deux C.G.T, le Congrès de Toulouse, le Gouvernement Populaire, doivent apporter dans les couches prolétariennes de Sète, un changement notable par lequel l’Unité doit se traduire en acte et non en phrases. L’augmentation des salaires doit relever d’une commission tripartite locale et non d’un coefficient truqué ; elle doit partir des représentants mandatés de la masse, et ne pas être le fait d’inspiration patronale, qui, en s’avançant pour une augmentation préventive, arrête l’augmentation réelle. La semaine de 40 heures, journée de 7 heures, congés payés, la stricte application des lois sur les accidents du travail, assurances sociales, prud’hommes, etc…doivent faire l’objet d’un vaste programme qu’il faudra mettre au point…
…Travailleurs et chômeurs Sétois, vous assisterez tous à cette réunion, où les syndicats de Sète, doivent par la suite, retrouver leur activité et prendre en main leurs propres affaires au lieu et place des patrons. »
Ce communiqué est signé, « le délégué provisoire : ARCENS »
Comme on le voit, les travailleurs du Port ne sont pas contents. Les patrons se font tirer l’oreille, ils n’acceptent pas de gaîté de cœur la victoire du Front Populaire.
* * *
15 JUIN 1936
Ce jour là, à 2 heures de l’après midi, le syndicat des Ouvriers Dockers, au cours d’une réunion générale à la Bourse du Travail, décrète un mouvement de grève, ils ne supportent plus l’attitude des armateurs et consignataires.
La grève démarre dans la soirée, avec force, semble t’il. « l’Information Méridionale » et « l’Eclair », quotidiens de l’époque, relatent dans leur édition du 17 Juin l’événement. L’un titre « La grève sur le tas des Dockers », l’autre « l’Eclair » est plus simple « l’arrêt de travail des Dockers ». Nous offrons comme document le récit plus complet qu’en fait « l’Information Méridionale ». C’est apparemment une relation détaillée des péripéties de la journée, alors que « l’Eclair » ne résume qu’en quelques lignes le mouvement de grève.
« A l’heure, où nous paraissions hier au soir, les évènements sur nos quais prenaient une tournure particulière du fait que, imitant leurs camarades brestois, les dockers sétois décidaient de faire la « grève sur le tas » en l’occurrence, empêcher de partir les navires. Le mot d’ordre était de monter à bord des bateaux sans se livrer à la moindre dépradation, s’opposer de terre à toute manœuvre de départ.
Le « Djebel-Amour », commandant PARES, fut le premier gêné dans ses manœuvres : il franchit bien le pont du Quai Paul Riquet, mais dût s’arrêter pile en face du Pont de la Victoire qui ne s’ouvrait pas. Les dockers avaient, en effet, mis le pontonnier dans l’impossibilité d’ouvrir le Pont.
Vers 6 heures, le « Sidi Aïssa », de la société générale des transports maritimes, amarré au Quai d’Alger, commandant CAPPONI, voulut appareiller : les dockers s’opposèrent à ce que l’on touche aux amarres. Le capitaine du bateau ordonna de couper ces amarres à coups de hache, ce qui fut immédiatement fait par l’équipage et le bateau quitta le quai et gagna le milieu du bassin où il jeta l’ancre. Quand il fut en direction de la passe de la Jetée 4-5, il reprit sa route pour sortir du Port. Les dockers essayèrent de placer une grue à la passe, mais la violence du courant les empêcha de réussir et le « Sidi Aîssa », qui devait partir pour Oran, franchit la passe sans encombre : il mouilla en face du Kursaal, car il avait une quarantaine de dockers à bord et le voyage était un peu long, d’autant plus que, sur les cargos, la nourriture est limitée à l’équipage. Néanmoins, ils furent, paraît il, bien traité à bord comme alimentation.
Le « Sidi Aîssa » resta mouillé jusqu’à 10 heures du soir. Apprenant le règlement provisoire du conflit, les dockers débarquèrent au Brise – Lames, d’où ils regagnèrent leur logis.
A 6 heures 30, le bruit courait dans la foule massée au quai d’Alger, que le « Joséphine Le Borgne », amarré Quai Aspirant Herber, allait partir dans les mêmes conditions. Une quarantaine de dockers était à bord : leurs camarades essayèrent de fixer les amarres aux futailles, mais si les futailles allèrent à l’eau, le vapeur s’en alla, laissant traîner les amarres derrière lui, les dockers massés en arrière faisant des signes d’adieu, l e « Joséphine Le Borgne » gagna immédiatement la mer, se dirigeant sur Marseille.
Jusqu’ici, tout s’était passé dans un calme relatif. Cela se gâta quelque peu avec « La Macta », qui était amarrée Quai Commandant Samary : sans secours de remorqueurs – ils étaient occupés – le vapeur recula par l’arrière vers le pont de la Victoire puis mit doucement « en avant » vers la jetée 4-5. A cet endroit, les dockers avaient placé bout à bout, deux gabarres réunies par de grosses amarres qu’ils renforcèrent encore quand ils virent le navire se préparer à partir : il était environ 7 heures. Mais « la Macta » avançait toujours doucement vers le barrage, où s’étaient massés les dockers. La manœuvre amena le vapeur à toucher les gabarres sans entrer en collision avec elles. Quand ils virent arriver la proue, les dockers quittèrent pour la plupart les gabarres, cela se comprend. Et comme un énorme coin, « La Macta » faisait claquer tour à tour chacun des amarres et put franchir la passe. Mais, au passage des pierres furent lancées vers la passerelle du commandant, tandis que l’on essayait de jeter un cordage dans l’hélice. On crut que la tentative avait réussi, car l’hélice stoppa et fit mouvement inverse, mais cette hélice reprit peu après son travail normal et « La Macta » prit la mer, emportant ses 34 passagers inattendus. Tout cela heureusement sans aucun incident.
Signalons de plus, à la demande de plusieurs dockers, que ce sont des jeunes gens n’appartenant pas à la corporation qui ont lancé des pierres sur le bateau dont nous venons de parler : ils en furent d’ailleurs empêchés par des dockers.
A part « Le Mascot », tous les autres navires ont quitté notre Port sans avoir terminé leur embarquement ou leur débarquement ».
- O -
Pendant ce temps, des pourparlers étaient en cours à la Mairie où, sous la direction de M. NAQUET, Maire, les délégués patronaux et ouvriers tâchaient d’arriver à une entente. Après une longue discussion, les deux parties tombaient d’accord sur un taux d’augmentation de 17 % ; accord provisoire, nous a t’on assuré, pour permettre le départ du « Djebel Amour », qui quittait notre Port vers 10 heures.
« Ce matin une nouvelle réunion a
eu lieu. A l’heure ou nous mettons sous presse, la solution du conflit ne paraît
pas être intervenue… »
«C’était un grand bal bleu et blanc
dans la ville aux bras de chemises… »
Ecrira Aragon. C’était en effet une grève sérieuse mais pas une grève triste. Animée d’une joie profonde, celle d’une dignité retrouvée. Les grèves se développent, salvatrices, rédemptrices, les employés(es), jusqu’alors humiliés, se sentent redevenir des êtres humains. Responsables. Partout dans les usines on entretient les machines, on veille au respect de l’ordre, on proscrit dans beaucoup d’endroits l’alcool. La grève devient fête. Fête de se sentir à nouveau responsable. Les femmes et les hommes ont enfin prise sur le temps, le temps enfin conquis, reconquis. On peu envisager le « temps perdu » que Jacques Prévert décrit si bien dans ce poème, paru dans « Paroles » :
Devant la porte de l’usine
Le travailleur soudain s’arrête
Le beau temps l’a tiré par la veste
Et comme il se retourne
Et regarde le soleil
Tout rouge, tout rond
Souriant dans son ciel de plomb
Il cligne de l’œil
Familièrement
Dis - donc camarade soleil
Tu ne trouves pas
Que ce serait plutôt con
De donner une journée pareille
A un patron.
Les patrons voilà ce qu’ils écrivent sur ces évènements…
ILLEGAL ET IMMORAL !
L’occupation des usines constitue une méthode contraire non seulement à l’ordre social, mais à l’exercice du droit de propriété, tel qu’il est déterminé par notre état social actuel et par la loi qui l’exprime en substance ; elle est donc tout à la fois illégale et contraire à la morale. La grève, par son caractère de généralité, expose le pays à un danger économique d’autant plus redoutable qu’elle se produit en période de crise et que les grévistes exigent l’adoption immédiate de nouvelles conditions de travail trop peu étudiées ou mises au point pour être appliquées en bloc et sans délai. Enfin – et c’est là le vice le plus grave – le véritable but de la grève n’est pas professionnel, mais politique et révolutionnaire…
L’Action Populaire |